Il est 4h. Le réveil sonne, mais personne n’a besoin de lui : on est déjà debout, les nerfs en alerte. La nuit a été courte, trop courte. L’excitation se mélange à la tension. On sort de l’AG, déterminé·es, et on suit le mouvement, pneu sous le bras, direction le périph’.
On avance au rythme de JUL, ça motive les troupes. Et bam, premier rond-point bloqué. On continue, une seule torche pour éclairer notre route.
On sait qu’on tiendra pas longtemps. Le périph, c’est symbolique, mais pas tenable. On est pas assez. Alors on redescend dans les rues. Et là, le vrai jeu commence : le chat et les souris. Les keufs nous gazent, nous pourchassent, mais on lâche rien. On se disperse, on revient. Accompagné·es par la fanfare et les poubelles qu’on traîne avec nous comme des barricades, on avance. On court. On improvise.
C’était peut-être pas une victoire stratégique éclatante, mais ce jour-là, on était ensemble. Un bloc. Une force. Et ça, c’est déjà énorme. Se retrouver à plusieur·es centaines à se lever à 4h pour tenter, désobéir — c’est ça qui compte. Dans cette période où l’État nous méprise, où les gens crèvent de faim, cette action, c’était un rappel : on vous aura. Ce sentiment d’être soudé·es, de pouvoir compter les un·es sur les autres, ça m’a donné une bouffée d’espoir. Le monde est peut-être pourri, mais ensemble, on peut encore tout retourner.
Nella notte ci guidano le stelle. Il est cinq heure, Lille s’éveille. Des petits groupes de 2-3 personnes rejoignent l’AG pour les blocages du matin, on se retrouve devant un bâtiment au milieu d’un ancien site industriel. L’assemblée commence et j’ai trop peur, je suis déjà surpris que les gens arrivent et que y’a pas la police sur le lieu du rendez-vous, j’ai peur qu’on perde une heure à rediscuter de tout mais au bout de 5 minutes, je sais plus trop comment on en est arrivé là, quelqu’un lance quelque chose comme « bon on est là pour tout bloquer non? alors qu’est ce qu’on discute encore? ». Et tout le monde y va de son « ouais on bloque tout », « toustes sur le périph! », et en fait on arrête l’AG, à quoi bon voter à main levée quand les choses sont évidentes! Tout le monde s’y met, tout le monde s’entraide, on se distribue des pneus, les syndicalistes chargent des palettes dans une camionnette de la CGT et je quitte le bâtiment 15 min après y être entré. Autour de moi se forme un petit cortège, on a un pneu sur chaque épaule, et on avance vers le périph en traversant la petite cité ouvrière aux briques rouges. Quelqu’un met de la musique. Nella notte ci guidano le stelle. C’est dans la nuit que les étoiles nous guident.
Je suis allé à une réunion d’info le week-end avant le 10 à Bruxelles pour voir ce qu’il se préparait. J’avais vu les appels au blocage tout l’été et j’avais un peu le fomo de pas avoir la même chose en Belgique. J’avais un peu participé à des manifs à Bruxelles, surtout pour la Palestine et j’étais pas sure d’aller à Lille car les manifs en France me font un peu peur. A l’AG il y avait beaucoup d’attention portée sur les mesures de précautions – comment s’équiper, que faire en cas d’arrestation, quels étaient mes droits en France . Ca m’a rassuré de voir que des gens avaient pensé a ça et que là-bas je ne serais pas seul et qu’on ferait attention à moi, qu’un truc de solidarité et d’entraide s’était organisé. Le matin sur place, je suis resté avec les gens que j’avais rencontré à la réu, j’ai vu beaucoup de gens très différents, venant de courants politiques différents mais tous réunis pour un même objectif, exprimer la colère du peuple. Ça m’a fait bizarre de voir des syndicalistes en chasubles rouge tenir tête face à la police avec nous. Ca ne m’est pas arrivé souvent en Belgique et c’est dommage. Je me suis dit que si on arrivait à bloquer tout le periph avec 5 syndicalistes, on pouvait mettre le monde à nos pieds si on les avait avec nous aux manifs nationales.
Quand on est arrivé.e.s devant le périph il faisait encore tout noir et les voitures elles allaient super vite, je me suis dit qu’on y arriverait jamais.
Y’a une personne qui a craqué une torche et qui a fait de grands gestes amples. On a avancé en occupant la bande d’arrêt d’urgence, puis la suivante, puis la suivante, les voitures étaient contraintes de ralentir au fur et à mesure jusqu’à ce que tout soit à l’arrêt.
On a fait une barricade en empilant les pneus. Des gens ont sorti du gel hydroalcoolique pour y mettre le feu, ça marche bien le gel mais on avait que des pneus alors ça prenait pas terrible et on était à peine visibles sans feu. On s’est mis à arracher des touffes d’herbes et du bois vert qui était sur le côté du périph pour pas que le feu s’éteigne. Je me suis planté une épine de batard dans la main en essayant d’arracher une branche, heureusement que j’avais mes gants. Après ça les syndicalistes sont arrivé·es avec des pallettes. C’était incroyable quand le feu à pris, on avait réussi !!!
A un moment donné on a compris que les personnes qui bloquaient le rond point derrière nous s’étaient fait chassées par la police, que du coup c’était la police qui étaient dans notre dos et plus les camarades. On était coincé.es entre eux et l’autoroute. Alors on a décidé de retourner vers le rond point en laissant sur le periph la barricade en feu. Quand ça a chargé je me suis dit que j’avais jamais respiré autant de gaz de ma vie, heureusement une première ligne de gens plus expérimenté.es ont occupé la police et je suis resté un peu en retrait. On a pu partir sans que personne se fasse arrêter.
On a marché au milieu de nulle part pendant un temps qui m’a paru très long et au loin j’ai vu le periph entièrement bouché. J’ai regardé toutes ces voitures immobilisées et j’ai pensé aux gens dans les voitures.
Un groupe de Lille avait accroché une banderole sur le bord de la route où iels avaient écrit « Vous savez très bien pourquoi ». Je me suis dit que c’était vrai et que tout le monde savait très bien pourquoi on le faisait.
Après on était dispersé·e·s en petits groupes dans la ville. Les flics en civil scrutaient des gens en se demandant si «c’en étaient », on scrutait des gens en se demandant si c’était des flics en civils. On a réussi à rejoindre l’endroit plus populaire de la ville et on s’est réfugiées dans un café avec mon groupe. Quand on est rentrées on a reconnu au moins 4 tables avec des gens de Bruxelles. Tout le monde avait les yeux rivés sur BFMTV. Le serveur aussi, il nous a direct fait une blague sur le fait qu’on était des gauchistes. J’étais un peu stressée et ça m’a rassuré de plaisanter avec lui il avait l’air d’avoir de la sympathie pour nous.
Dans le café on a fait connaissance J’en avais déjà aperçu à plusieurs occasions comme le 1er mai ou l’occup de l’ulb mais avec qui j’avais jamais vraiment parlé. Se faire gazer et courir ensemble ça rapproche. On s’est dit que ce serait chouette de s’organiser ensemble pour la manif du 14.
Je tiens à m’excuser d’avoir été ce connard, lunettes nabaji vissées sur le masque FFP3, dans la fumée des lacrymos, qui criait aux camarades : « Ne courez pas ! On reste groupéééé·es ! », alors que les autres avançaient encore le visage nu.