En 1990, la loi Belge autorise enfin l’avortement sous certaines conditions. Des années de lutte, de mobilisations et de pratiques illégales de l’IVG (interruption volontaire de grossesse) la précèdent. En 1897, la 1ère loi mentionnant l’avortement le considère comme un crime contre l’ordre des familles et de la moralité publique. La femme concernée et les personnes y ayant aidé risquent entre 2 et 5 ans d’emprisonnement. Cela ne décourage pas les femmes et militant.e.s, qui s’organisent pour aider celles qui souhaitent mettre fin à leur grossesse. Les avortements sont effectués de manière illégale. Des voyages sont organisés dans d’autres pays européens, comme les Pays-Bas, l’Angleterre ou la Pologne (!). Les femmes les plus aisées sont souvent celles pouvant se permettre ces voyages, leur assurant des avortements effectués dans de meilleures conditions.
L’IVG est immorale, mais pas dans toutes les situations. En 1960, suite à l’indépendance du Congo, l’état ferme les yeux sur les avortements des femmes qui seraient enceintes d’hommes noirs. Si des femmes Belges subirent des viols à cette époque, les inquiétudes se portaient moins là-dessus que sur la naissance d’un métis. Des documents d’archive révèlent que « la perturbation de l’intégrité et de l’ordre de la famille par l’arrivée d’un mulâtre est pire que le curetage ». Selon l’historien Franck Gerits, ces considérations « démontrent la nature explicitement raciste du projet de civilisation officiel de la Belgique ».
Dans les années 70, le combat pour le droit à l’IVG s’intensifie. Des collectifs ; en Flandre les Dolle Mina et en Wallonie les Marie Mineur, pour certains non-mixtes et créés par des ouvrières, font du droit à l’avortement l’une de leurs principales revendications. Leurs actions, ludiques et ironiques se différencient des méthodes utilisées jusqu’alors, et leurs permettront de faire parler d’elles de manière plus conséquente dans les médias et la société civile.
Les Marie Mineur créent « SOS avortement », qui met en lien les femmes et les médecins pratiquant l’IVG. Les militantes prennent des risques : l’une d’entre elles, membre des Dolle Mina, est arrêtée pour avoir en sa possession des brochures mentionnant des cliniques d’avortement aux Pays-Bas. A la même époque, les centres de planning familiaux sont reconnus et subsidiés par l’État Belge et la contraception est légalisée. Le docteur Willy Peers fonde la Société Belge pour la légalisation de l’avortement mais, en 1973, il est arrêté sur dénonciation anonyme pour avoir pratiqué des avortements illégaux. Son arrestation provoque une vague de soutien. Des manifestations sont organisées dans toute la Belgique. A Gand, des femmes entament une grève de la faim. Sous la pression des militant.e.s, le médecin est libéré et une trêve judiciaire implicite s’installe dans le pays. La dépénalisation de l’avortement devient l’un des combats majeurs des féministes des années 70.
En 1976, les femmes décident de la thématique « Avortement : les femmes décident » pour la journée nationale des femmes. En 1977, environ 7000 femmes défilent dans les rues pour réclamer la dépénalisation. L’un de leurs slogans : « Un enfant : si je veux, quand je veux ! » Les femmes et leurs allié.e.s pratiquant les avortements distribuent des tracts et créent des comités pour faire pression sur les pouvoirs publics. En 1980, à Gand, est créé le premier centre pratiquant ouvertement l’IVG : Kollectief Anticonceptie. Par la suite, les centres hospitaliers assumant cette pratique se regroupent sous le Groupe d’Action des Centres Extra-Hospitaliers Pratiquant l’Avortement. Chaque année, entre 74.000 et 150.000 avortements sont pratiqués de manière clandestine.
Mais dès les années 80, les dénonciations et arrestations reprennent et plusieurs désobéissant.e.s sont poursuivi.e.s en justice. Pourtant, la Belgique est à la traîne et demeure l’un des derniers pays Européens ne permettant en aucun cas l’IVG. Les manifestations reprennent de plus belle. C’est en 1990 que la loi de dépénalisation partielle dite « loi Lallemand-Michielsen » est votée, malgré l’opposition des partis sociaux-chrétiens. Le roi Baudoin refuse de la signer, invoquant un « grave problème de conscience », alors que ce dernier n’a pourtant pas d’avis à donner sur les lois appliquées dans le pays, son rôle étant purement formel. Grâce à un tour de passe-passe institutionnel ; un compromis à la Belge, la législation est finalement mise en application. Elle dépénalise l’avortement sous certaines conditions imposées par la loi. Le médecin a notamment le dernier mot sur l’acte, en fonction du jugement qu’il pose sur « l’état de détresse » de la femme concernée. Cette condition sera supprimée des années plus tard.
A l’heure actuelle, l’IVG est autorisée jusqu’à 12 semaines de grossesse. Un délai de 6 jours doit s’écouler entre la première consultation et le jour de l’intervention.
Alors, notre corps, notre choix ?
Sources :
EN 1960, l’avortement était déjà possible en Belgique… si le père était africain, Bruno Struys, 2022 Daar Daar
Droit à l’avortement : l’impossible repos des guerrières, Camille Wernaers, 2019 Axelle magazine
IVG : Histoire de la loi de 1990 et d’une époque, Pierre DE LOCHT et Roger LALLEMAND, 2022 Politique revue