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Week-end de réquisition populaire dans la cité ardente (25-27 avril)

Liège était à la fête le week-end dernier, fête du logement social. Ci-dessous, récit dudit week-end…

Vendredi à l’aube, nous nous rassemblons en petit groupe à l’entrée de la victorieuse ZAD de la Chartreuse, là où certaines d’entre nous se sont rencontré·es il y a 1 maintenant trois ans. Il est 6h du matin, un dernier brief pour répartir les rôles, distribuer le matos. Le soleil entame son ascension, nous descendons la colline de la Chartreuse, direction la cible de notre occupation.

Dans quelques jours, le 30 mai, Liège verra son tram désespérément attendu être enfin inauguré. Qu’on juge ou non pertinent la mise en circulation du tram à Liège, force est de constater que les loyers aux abords de la ligne de tram ont grimpé en flèche depuis sa construction : +40%.

Nous arrivons à la cible : une tour à flanc de route, et, cachée derrière elle, une cour charmante et herbacée, bordée de deux longs bâtiments. En tout : 64 unités de logement vides. Notre première tâche (citoyenne au possible) est de nettoyer le lieu : la cour et son jardin sont fleuris de déchets en tout genre.

A notre surprise, nous réveillons Ibrahim/Obama, qui dormait à l’abri de son buisson. De bonne humeur, il nous accueille chez lui, nous aide à nettoyer l’endroit et nous raconte sa propre histoire et l’histoire du lieu. Il vient de Guinée, il est installé dans cette cour depuis quelques mois. Arrivé en Belgique durant les années 90, il fut agent de propreté une dizaine d’années. Après avoir reçu, au terme d’une attente péniblement longue, une première réponse positive pour un logement social, on lui signifiera qu’il n’a désormais plus accès à ce logement social, n’étant plus agent de propreté. Ibrahim est aujourd’hui contraint d’habiter cette cour où nous le rencontrons et où il égaiera notre week-end de sa bonhomie.

Le lieu que nous occupons est constitué d’anciens logements sociaux, qui auparavant encore servirent de logement à des prêtres. Stratégie politique classique : les pouvoirs publics ont laissé se dégrader ces logements sociaux, ils estiment désormais (à la grosse louche) le coût de leur rénovation trop important, ils actent alors de les vendre au privé qui les rasera pour en faire des parkings ou des logements luxueux, bref quelque chose en quoi le privé entreverra la meilleure source de profits – sans soucier des personnes en besoin de logement, cela va sans dire.

Le PAB (peloton anti-banditisme) arrive de bonne heure devant les barrières qui délimitent notre occupation, rapidement suivi par la police. Un agent du PAB nous dira que notre manière de faire les choses est incorrecte, pour faire ce genre d’événement « il faut passer par l’e-guichet de la province » (mdr). Un thé est servi à un agent de police venu vérifier qu’il n’y avait pas d’amiante sur site, enthousiasmé par notre démarche il ira jusqu’à dire que nous sommes civilisé-e-s (heureux·ses de l’apprendre!) et qu’il repasserait bien le week-end pour le barbecue (mdr bis). Une fois les porcs éloignés, le petit-dej arrive et des associations viennent faire nombre à l’entrée. Une grande banderole est accrochée et déployée sur le haut bâtiment : « Liège n’est pas à vendre ». 

Les bâtiments occupés sont propriétés de La Maison Liégeoise, une société de logements sociaux sur Liège. Une société jouissant d’un grand patrimoine dans notre province, mais qui n’en est pas moins en très mauvais état financièrement parlant. La Maison Liégeoise, avec l’appui de politiques publiques dignes de ce nom, pourrait envisager de rénover des bâtiments tels que ceux que nous avons occupés, pour loger qui en a besoin. Des associations ont même fait des propositions concrètes en ce sens. Mais une force mystérieuse semble en avoir décidé autrement : si la vente des logements à des acteurs privés n’a pas encore eu lieu, elle a par contre été actée mais sans que les propositions de rénovation faites par les asso aient été présenté au CA de la Maison Liégeoise.

Pire : ces logements sont vendus à titre de terrain (et non de logements donc) pour la somme modeste d’environ 490 000 euros (alors qu’on parle de 64 logements). Face à ce prix de vente dérisoire, on brandit par contre un coût de rénovation exorbitant, comme pour condamner d’avance toute velléité en ce sens : 4 millions d’euros (alors que tout·e qui était présent·e ce we n’a pu qu’être étonné.e. par le bon état des appartements, nos propres expert.e.s du bâti – squatteur·euses ou architectes – compris). Qui donc en a décidé ainsi ?

Nous découvrons les lieux. A notre surprise, les logements sont en assez bon état. Nous ouvrons une porte, puis d’autres portes, Obama saisit l’occasion pour déménager de son buisson à un 4 pièces vide juste à côté. Nous aménageons un peu l’espace, nous nous attelons aux préparatifs en vue d’une ouverture au public fin d’aprem. Nous prenons aussi nos quartiers sur place : un dortoir zbeul, un dortoir grand-mère, des banderoles et des tags, des toilettes-sèches toute swag, des guirlandes lumineuses, un espace logistique, des tables et des chaises, un kiosque, un bar.

Le soir, dans la cour, nous projetons un documentaire sur la destruction systémique et politique des logements sociaux en Angleterre et en Irlande. Des jeunes, coutumiers du site en soirée, arrivent ici comme à leur habitude, ils se posent, et nous discutons.

Interpellé lors du conseil communal à propos des ces bâtiments vides et de leur vente suspecte, le MR, qui a grimpé en flèche aux dernières communales sur Liège, a répondu qu’il ne voulait pas plus de 15% de logements sociaux et qu’il voulait par-dessus tout redynamiser le quartier. Par là il faut entendre : accroître les causes des difficultés de logement sans y apporter de solutions, c’est-à-dire laisser un terrain à-bas prix à des entrepreneurs qui trouveront à y implanter une source de profits privés (que ce soit des logements haut de gamme, un parking ou encore une enseigne commerciale à la con), faire augmenter ainsi les prix du loyer dans le quartier, tuer la vie de quartier d’un quartier encore relativement populaire. Limiter les logements sociaux et redynamiser un quartier dans la bouche de ces ordures du MR, ce n’est jamais qu’un crachat violent qu’ils adressent aux classes populaires et à la vie d’un quartier qui pour eux ne dégagent pas suffisamment de profits.

Samedi est une grosse journée : réunion en matinée, barbecue à midi (sur le grill : merguez Halal, légumes et Halloumi, pas de porcs ni de poulets – notre ami de la police n’est finalement pas passé :/ ), l’après-midi des ateliers en tout genre (sérigraphie, élaboration d’une gazette, permanence squat..), puis de délicieuses crêpes salées et des concerts le soir venu. La météo est de notre côté, il fait doux occuper. Des personnes du quartier passent, des discussions s’entament et des idées sur ce que ce lieu pourrait devenir au-delà de ce week-end émergent petit à petit.

Occuper un lieu comme nous le faisons répond à bien des enjeux. Le moindre d’entre eux est symbolique : faire voir des lieux abandonnés – en l’occurrence d’anciens logements sociaux – alors même que des gens sont à la rue. Mais des enjeux plus pratiques et plus politiques expliquent davantage encore notre action : – débusquer les stratégies de politiques publiques qui veulent faire de l’espace non pas ce qui doit répondre à des besoins fondamentaux pour tous·tes mais une source de profits pour quelques uns – faire de l’espace un lieu d’appropriation collective et populaire pour que des gens d’horizons divers se croisent et discutent des enjeux propres à la zone occupée – défendre un quartier populaire face à la gentrification et ce qu’elle présuppose en amont (à savoir la dégradation organisée d’une zone et de ses habitations en ceci notamment qu’on ne la rénove pas, le dénigrement corollaire de ladite zone sur le mode souvent fantasmatique « c’est un point de deal, c’est un lieu en proie à l’insécurité, etc. »). Quand les pouvoirs publiques tout à leur mesquine affaire n’ont aucune volonté, aucun intérêt à se soucier du bien commun, il ne reste qu’à lutter pour leur imposer de s’en soucier (contre leur gré).

Dimanche, dernier jour, soleil à nouveau au rdv, des habitant.e.s des environs nous rendent visite à partir de midi, les discussions avec elleux sont l’occasion de constater qu’une préoccupation commune pour des logements à coûts abordables nous rassemble facilement, que nombre d’habitant·es étaient concerné·es par le devenir du lieu. Beaucoup d’enfants font régner une énergie contagieuse sur le site : foot, vélo, dessin à la craie sur le bitume, lecture ou papote dans l’herbe. Un d’entre eux nous demandera si nous sommes ouverts tous les jours. Sa question nous trotte dans la tête. Le lieu, rendu si agréable par l’occupation, était à l’abandon. Du gâchis méthodiquement élaboré.

L’aprem, une émission de radio avec le front anti-expulsion de Bruxelles et la Permanence Squatt de Bruxelles, avec le tout nouveau Front anti-expulsion de Liège et le collectif Amerbitume (organisateur de week-end), avec aussi en guest surprise Ibrahim, est à la fois enregistrée et diffusée sur le site. Un atelier « Rencontre les trans de ta région », rassemblant également une dizaine de personnes dans le jardin, et un atelier peinture sur le contreplaqué barricadant les fenêtres achèvent de donner au lieu un esprit nouveau, joyeux et prêt à perdurer.

L’heure de la dernière assemblée, qui durera 2 heures, sonne : que faire du lieu ? Comment soutenir Ibrahim et les autres qui resteront là à l’issue du week-end de réquisition ? Une équipe de squatteur·euses, sans-abri ou autre peut-elle se constituer ? Comment continuer à faire valoir la nécessité des logements sociaux en ce lieu, et ailleurs ? Ce lieu peut-il aussi abriter en son sein un centre social ?

Autant de questions qui signent la dissolution du groupe Amerbitume (dans sa première forme du moins) au profit des différents groupes de travail issus de cette dernière assemblée. En attente des suites, l’on sait déjà que ce week-end de réquisition populaire, s’il a oublié de se déclarer en bonne et due e-forme sur l’e-guichet de l’e-province d’eLiège, aura par contre à coup sûr ravi ses nombreuxses participant·es, et ravivé un front ardent de lutte à propos du logement en terre liégeoise.

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